Traité de Gandemian, 24 août 1873
entre la Russie et le khanat de Khiva

Le traité de Gandemian, signé le 24 août 1873, marque une étape clé dans la conquête russe de l’Asie centrale au 19e siècle. À cette époque, le khanat de Khiva, situé dans la région de l’actuel Ouzbékistan et Turkménistan, était l’un des derniers États indépendants d’Asie centrale. Confronté à l’expansion progressive de l’Empire russe, Khiva tenta de résister à cette pression croissante. Cependant, après une campagne militaire menée par la Russie en 1873, le khanat fut contraint d’accepter la domination russe.
Le traité imposé à Khiva officialisait la suzeraineté russe sur le khanat. En signant ce traité, le khan de Khiva reconnaissait l’autorité russe, notamment en matière de politique extérieure, et acceptait la présence d’une ambassade russe permanente ainsi que la libre circulation des troupes russes sur son territoire. Ce traité transformait ainsi Khiva en protectorat de l’Empire russe, réduisant considérablement son indépendance.
Ce pacte s’inscrivait dans un contexte plus large de rivalité entre la Russie et la Grande-Bretagne, appelée le « Grand Jeu », où les deux puissances cherchaient à étendre leur influence en Asie centrale. La prise de Khiva renforça la position de la Russie dans la région et lui permit de poursuivre l’annexion progressive des autres khanats voisins, consolidant ainsi son empire en Asie centrale. Le traité de Gandemian est donc un moment décisif qui illustre la domination coloniale russe et la fin de l’autonomie des khanats d’Asie centrale à la fin du 19e siècle.
Traité de paix entre la Russie et le Khiva ; signé à Gandemian, le 24 (12) août 1873.
Traduction.
Art. 1 – Séid-Mouhamed-Rahim-Boughadour-Khan se reconnaft fidèle serviteur de l’Empereur de toutes les Russies. Il renonce à toutes relations amicales directes avec les souverains el khans voisins, et à la conclusion de toutes conventions de commerce ou autres avec eux; il s’engage à n’entreprendre contre eux aucune opération de guerre à l’insu ou sans l’assentiment des autorités militaires supérieures russes.
Art. 2 – La frontière entre les territoires russe el khivien sera l’Amou-Daria, à partir de Koutertli, en descendant le cours du fleuve, jusqu’à la sortie de la branche la plus occidentale de l’Amou-Daria, et de ce point, en suivant celte branche jusqu’à son embouchure dans la mer d’Aral; plus loin, la frontière longera le rivage de cette mer jusqu’au cap Ourgou, et de là elle suivra le pied du versant méridional de l’Oust-Ourl jusqu’à ce que l’on appelle l’Ancien-Cours du fleuve Amou.
Art. 3 – Toute la rive droite de l’Amou-Daria et tous les territoires qu’il baigne, et qui jusqu’aujourd’hui ont été considérés comme territoires khiviens, passent de la possession du khan à celle de la Russie avec toutes les populations qui y résident ou qui y campent. Les parcelles de terrain situées sur la rive droite, et qui sont actuellement propriété du khan, ou dont il a octroyé la jouissance à des fonctionnaires du khanat, passent avec le reste en la possession du gouvernement russe, sans que les anciens propriétaires puissent élever aucune prétention. Il est réservé au khan de les dédommager pour leurs pertes par des terrains situés sur la rive gauche.
Art. 4 – Dans le cas où, conformément à la volonté de S. M. l’Empereur, la possession, d’une partie de celle rive droite serait transférée à l’Emir de Boukhara, le khan de Khiva reconnaîtra ce dernier comme légitime possesseur de celle partie de ses anciens domaines et renoncera à toute intention d’y rétablir son autorité.
Art. 5 – Il est exclusivement réservé aux bâtiments à vapeur et autres navires russes appartenant soit au gouvernement, soit aux particuliers, do naviguer librement sur l’Amou-Daria. Les barques khiviennes et boukhariennes ne peuvent jouir de ce droit que moyennant une permission spéciale de l’autorité supérieure russe de l’Asie centrale.
Art. 6 – Les Russes ont le droit d’établir des ports dans les localités de la rive gauche où ils le jugeront nécessaire et opportun. Le gouvernement du khan répond de la sécurité et de la conservation de ces ports. La confirmation des localités choisies pour leur établissement dépend de l’autorité russe de l’Asie centrale.
Art. 7 – Indépendamment de ces ports, les Russes ont le droit d’avoir des factoreries sur la rive gauche de l’Amou-Daria pour l’entrepôt et l’emmagasinage de leurs marchandises. — Le gouvernement du khan s’engage à délivrer pour l’établissement de ces factoreries, dans les localités qui seront désignées par l’autorité supérieure russe de l’Asie centrale, des terres inoccupées en quantité suffisante pour la construction des ports, des magasins, des emplacements destinés aux employés des factoreries, et à ceux qui y auront affaire, pour l’organisation des comptoirs des marchands et de fermes agricoles. Ces factoreries, avec tous ceux qui les habitent et les marchandises qu’elles contiennent, sont placées sous la protection immédiate du gouvernement du khan, qui répond de leur sécurité et de leur conservation.
Art. 8 – Toutes les villes el les villages du khanat de Khiva sont désormais ouverts au commerce russe. Les marchands et les caravanes russes peuvent circuler librement dans toute l’étendue du khanat et jouissent de la protection spéciale des autorités locales. Le gouvernement du khan répond de la sécurité des caravanes et des dépôts de marchandises.
Art. 9 – Les marchands russes, faisant le commerce dans le khanat, sont affranchis du paiement du Ziaket et de toute espèce de redevance commerciale, de même que les marchands khiviens sont depuis longtemps exemptés du Ziaket, tant sur la route pour Kazalinsk, qu’à Orenbourg et dans les ports de la mer Caspienne.
Art. 10 – Les marchands russes jouissent du droit de transit gratuit pour les marchandises expédiées à travers les possessions khiviennes, dans tous les pays voisins.
Art. 11 – Les marchands russes ont le droit d’avoir, s’ils le désirent, leurs agents (caravanbachis) à Khiva et dans les autres villes du khanat, pour les relations avec les autorités locales, et le contrôle de la marche régulière des affaires de commerce.
Art. 12 – Les marchands russes ont le droit d’acquérir des propriétés immobilières dans le khanat. Celles ci seront soumises à l’impôt foncier d’après un accord avec l’autorité supérieure russe de l’Asie centrale.
Art. 13 – Les engagements commerciaux entre les Russes et les Khiviens doivent être strictement et inviolablement remplis de part et d’autre.
Art. 14 – Le gouvernement du khan s’engage à examiner sans délai les plaintes et réclamations des sujets russes contre des Khiviens et, si elles se trouvent fondées, à y donner immédiatement satisfaction. Dans le cas de procès de la part de sujets russes et de Khiviens, les Russes auront la priorité sur les Khiviens pour le remboursement de leurs créances.
Art. 15 – Les plaintes et réclamations des Khiviens contre des sujets russes, même dans le cas où ces derniers se trouvent dans les limites du khanat, sont soumises à l’examen et au jugement de l’autorité russe la plus proche.
Art. 16 – Le gouvernement du khan n’admet dans aucun cas sur son territoire les divers émigrés venant de la Russie et se présentant sans être munis de permis à cet effet de la part des autorités russes, quelle que soit la nationalité à laquelle appartiennent ces émigrés. Si des criminels, sujets russes, cherchent un abri contre les poursuites légales dans les limites du khanat, le gouvernement du khan s’engage à les arrêter et à les livrer à l’autorité russe la plus proche.
Art. 17 – La déclaration de Seïd·Mouhammed-Rahim-Bog- badour-Khan, publiée le 12 du mois de juin dernier, concernant la libération de tous les esclaves dans le khanat et l’abolition à tout jamais de l’esclavage et du trafic des hommes, demeure en pleine vigueur et le gouvernement du khan s’engage à veiller, par tous les moyens en son pouvoir, à la stricte et consciencieuse exécution de cette clause.
Art. 18 – Une indemnité de 2,200,000 roubles est imposée au khanat de Khiva afin de couvrir les dépenses encourues par le trésor russe, pour les frais de la dernière guerre, provoquée par le gouvernement du khan el par le peuple khivien eux-mêmes.
Comme le gouvernement du khan n’est pas en état de payer cette somme à bref délai, vu l’insuffisance de l’argent tant dans le pays que dans les caisses de l’Etat, en considération de cette difficulté, la faculté lui est réservée de payer cette indemnité par termes, en comptant les intérêts à 5% par an, à condition que dans l’espace des deux premières années il soit versé au trésor russe cent mille roubles par an; dans les deux an- nées suivantes, cent vingt-cinq mille roubles pour chaque année; en 1877 et 1878 cent cinquante mille roubles chaque année; puis cent soixante-quinze mille roubles chacune des deux années suivantes; en 1881, c’est à dire dans huit ans, deux cent mille roubles, et enfin la même somme de deux cent mille roubles au moins· par an jusqu’au paiement définitif. Les versements peuvent être effectués tant en billets de crédit russes qu’en monnaie oyant cours dans le khanat, selon le désir du gouvernement du khan.
Le terme du premier versement est fixe au 1er décembre 1873. En compte de ce paiement, la faculté est accordée au gouvernement du khan de prélever l’impôt sur la population de la rive droite, pour l’année courante, dans la mesure existante jusqu’à ce moment; cette perception doit être terminée au 1er décembre, à la suite d’une entente entre les percepteurs du khan et les autorités locales russes.
Les versements suivants doivent être effectués le 1er novembre de chaque année jusqu’à l’entier paiement de d’indemnité avec les intérêts.
Dans 19 ans, c’est-à-dire au 1er novembre 1892. après le paiement de 200 mille roubles pour la dite année, il restera encore au gouvernement du khan à payer 70,054 r et le 1er novembre 1893 il aura à verser les derniers 73,557 r.
Il est réservé au gouvernement du khan la faculté de payer plus que les sommes annuelles ci-dessus désignés, … s’il désire diminuer le nombre des années de paiement et les intérêts à courir pour le restant de sa dette.
Ces conditions ont été stipulées et acceptées réciproquement par le gouverneur général du Turkestan, aide de camp général de Kaufmann Ier d’une part, et de l’autre par le souverain du Khiva, Seïd-Mouhamed-Rahim-Boghadour-Khan, et doivent être strictement exécutées et servir de règle permanente. — Fait à Gandemian (au camp de l’armée russe sous Khiva) le 12août 1873 (le 1er jour du mois de Radjab 1290).
Le texte du traité est publié in
| 1,3 Mo Martens, N. R. G., t. XX, n° 97, pp. 97-101Pour les références bibliographiques des recueils mentionnés ci-dessous, voy. la page consacrée aux recueils de traités
La présente fiche a été réalisée dans la cadre du programme de stage du Ceric à la Faculté de droit et de science politique de l’Université d’Aix-Marseille.
Elle a été conçue par :
Lise Wattelet (fiche de contextualisation, illustration, résumé, transcription)
Auteur 2 (correction du texte intégral)
Pr. Romain Le Boeuf (sources, transcription du texte intégral)
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