Traité de Belgrade, 28 septembre 1739
entre la Russie et l’Empire Ottoman

Le conflit austro-russo-turque résulte de problèmes apparus lors de la guerre de
Succession de Pologne et des opérations des Tatars de Crimée. C’est également en raison de la volonté russe d’obtenir un accès à la Mer Noire. La Russie de la tsarine Anne, alliée de l’Autriche (Habsbourg) est opposée à l’Empire Ottoman.
Les batailles ont lieu principalement en Crimée (territoire vassal de l’Empire Ottoman). A la suite de la reprise de Belgrade par les Turcs en 1738, des tentatives de négociation de la paix ont lieu sans succès avant que l’Autriche battue signe la paix séparée avec l’Empire Ottoman en 1739.
Ce retrait des Autrichiens et la menace d’une invasion suédoise contraint la Russie à signer avec l’Empire Ottoman la paix. Suite au traité de Belgrade, la Russie et l’Empire Ottoman signeront la convention de Nyssa le 3 octobre 1739 qui précisera les stipulations du traité de Belgrade.
À la Paix de Belgrade entre l’Impératrice Anne de Russie et le Sultan Ottoman Mahmud.
Au nom du Seigneur Dieu, Créateur du Ciel et de la Terre, source de toute félicité.
Une guerre cruelle et ruineuse s’étant élevée entre la Sérénissime et très puissante Princesse Anne Impératrice et Autocratrice de toutes les Russies d’une part, et le très puissant Prince Sultan Mahmout-Kan, fils du Sultan Mustapha-Kan, de l’autre part ; lesquels, cédant ensuite au désir de la réconciliation, qui est si agréable à Dieu, ont jugé, d’un commun accord devoir mettre fin à cette effusion de sang, en terminant toutes les contestations, rétablir une parfaite tranquillité, suivant les loix de l’ancienne amitié et du bon voisinage entre les Domaines, terres et sujets des deux Parties, par le moyen d’une paix sincère, sûre et constante, et lien perpétuel d’amitié en faveur, pour la félicité des deux Nations ; c’est pourquoi avec l’aide et la volonté du Dieu suprême, et par la médiation de Sa Majesté très Chrétienne, l’affaire a été amenée au point, que par le moyen des Ministres accrédités des deux parts pour l’oeuvre salutaire, et munis de pleins-pouvoir convenables et suffisants, savoir de la part de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies, l’illustrissime et excellentissme Seigneur, Marquis, de Villeneuve, Conseiller d’État de Sa Majesté Très-Chrétienne, son Ambassadeur extraordinaire et Plénipotentiaire près de la sublime Porte Ottomane, et de la part de la dite sublime Porte Ottomane, l’Excellentissime et Magnifique Elviar Méhémet, Bacha, Grand-Vizir de l’Empire Ottoman, en vertu de la pleine et libre puissance qu’il tient de son ministère, après plusieurs conférences tenues entre ledit Seigneur Ambassadeur et les Ministres de la Porte, la présente paix a été conclue et établie inviolable et constante aux conditions et articles suivants :
Art. 1 – Que dès aujourd’hui toute hostilité et inimitié entre les deux Parties, reste suspendue et annulée pour toujours; que toutes les hostilités et contrariétés commises par l’une ou l’autre des Parties à force ouverte ou autrement, soient mises dans l’oubli perpétuel, et qu’on ne cherche en aucune manière à en tirer vengeance; qu’au contraire la paix soit maintenue perpétuelle, constante et inviolable sur terre et sur mer; que la sincère harmonie soit conservée, que l’amitié demeure inaltérable par l’accomplissement très-exact des ces articles et conditions stipulées entre les deux suprêmes Parties contractantes, Sa Majesté Impériale et Sa Majesté Sultane, leurs Héritiers et Successeurs, et de même entre les Empires, Domaines, Terres, Sujets et Habitans des deux Nations, de manière qu’à l’avenir les deux Parties évitent non-seulement de se faire aucune hostilité et contrariété publique ou secrète, mais au contraire qu’elles conservent entr’elles un fidèle amitié et sincère paix, en se souhaitant et se procurant réciproquement toute sorte de prospérité et de bonheur, afin que la paix et la tranquillité restent inviolablement conservées, pour le bien et l’accroissement des deux Empires et de leurs Sujets.
Art. 2 – Et comme des deux parts on est sincèrement intentionné d’établir entre les deux Empires une paix durable et constante, afin que les Sujets respectifs en puissent profiter et vivre en toute heureuse tranquillité; et afin que tout sujet de contestation et de discussion soit parfaitement levé et aboli, il a été convenu pour cet effet d’un commun accord, que les limites des deux Empires seront les mêmes qui avaient été établies par les traités antérieurs, et précisément comme elles seront clairement expliquées dans une convention, qui sera faire en conséquence de ce traité.
Art. 3 – La forteresse d’Azoph sera entièrement démolie, et pour assurer la paix d’une manière plus solide et plus durable, le territoire de la dite Forteresse, selon les limites fixées par le traité de 1700, restera désert et servira de barrière entre les deux Empires. En équivalence de ce, il sera permis à la Russie de faire construire une nouvelle Forteresse au voisinage de l’Isle Cirasse vers Azoph, laquelle Isle située sur le fleuve Tanaïs, est l’ancienne frontière de la Russie; et également de la part de l’Empire Ottoman, il sera permis de construire une Forteresse sur la frontière du Cuban vers Azoph, suivant la détermination qui sera faite de la situation des deux susdites Forteresses, par les Commissaires nommés des deux parts, à l’équité et la discrétion desquels on remettra la décisions; et encore avec la condition, que l’ancienne Forteresse de Tanganrhock déjà démolie, ne soit point rétablie, et que la Russie ne pourra ni sur la mer de Zabache, ne sur le mer Noire, construire et avoir de flotte et autres navires.
Art. 4 – Et afin que les Sujets des deux Empires soient plus positivement instruits des limites qui seront déterminées, aussitôt après la confirmation du présent traité de paix, les deux Empires nommeront et expédieront les susdits Commissaires ayant la capacité requise et munis de pleins-pouvoirs et d’instructions suffisantes pour que leur commission ne soit sujette à aucune vaine difficulté, et que venant à se rassembler en vertu du présent traité, ils marquent sans délais les limites entre les deux Empires, et après avoir mis dans les lieux convenables, les bornes et signaux qui doivent servir désormais et toujours, ils confirment avec les instruments et écritures accoutumées, toutes lesdites limites, en y spécifiant toutes les particularités concernant lesdites limites; lesdits Commissaires devront avoir rempli et parachevé leur commission dans l’espace de six mois, à compter du jour de l’échange des ratifications.
Art. 5 – Les Cosaques et les Calmoucks, Sujets de Sa Majesté Impériale et de l’Empire des Russie, ainsi que toute autre Nation sujette dudit Empire, n’entreprendront aucune invasion et ne commettront aucune hostilité contre les Tartares de Crimée, Sujets de l’Empire Ottoman, ainsi que contre les autres Nations et Tartares Sujets du même Empire, et ne leur feront aucun mal ou dommage. Les Sujets s’abstiendront de toute pareille entreprise, et de toute autre contrariété à cette sainte paix; et si effectivement ils viennent à commettre quelque sorte de témérité, en tel cas ils seront punis rigoureusement. De même les Sujets de l’Empire Ottoman, les Tartares de Crimée et généralement tous les autres Sujets de la Porte Ottomane, de quelque nom et qualité qu’ils puissent être, n’entreprendront aucune invasion et ne commettront aucune hostilité contre les Villes, Bourgs et lieux du Domaine de sa Majesté Impériale de toutes les Russies, ainsi que contre ses Sujets, tant de la grande que de la petite Russie, et contre les Villes des Cosaques Sujets de Sa Majesté Impériale, et leurs habitations situées sur la Boristhene, le Tanaïs et ailleurs, ni contre les petites Forteresses, Villages et leurs Habitans, en-deçà des limites de l’Empire de toutes les Russies, telles qu’elles seront convenues et fixées; ils ne commettront aucune hostilité et éviteront de faire aucun dommage secrètement, comme à découvert, en faisant des Esclaves, en emmenant les bestiaux, ou en les inquiétant de quelque autre manière. Et s’ils osent en quelque manière que ce soit faire tort ou dommage, ou agir hostilement contre les Sujets ou vassaux de Sa Majesté Impériale, ils ne seront point protégés; mais selon les Loix Divines, le droit de la justice et l’énormité du délit, ils seront rigoureusement punies. On recherchera tout ce qui pourrait avoir été violemment enlevé de part et d’autre, et on le restituera aux Propriétaires.
Art. 6 – Quant aux deux Cabardies grande et petite, et les Nations qui les habitent, il est convenu des deux parts, que ces deux Cabardies resteront libres, et ne seront soumises à aucun des deux Empires, mais serviront de barrière entr’eux; et que de la part de la sublime Porte, ni les Turcs ni les Tartares ne s’ingéreront dans ces pays et ne les inquièteront, et de même que, de la part de l’Empires des Russies, ils ne seront point molestés; mais que toutefois, selon l’ancienne coutume, l’Empire des Russies prendra des otages des deux Cabardies, pour le seul motif de maintenir la tranquillité, étant libre à la Porte Ottomane d’en user de même pour la même fin; et au cas que les susdits peuples de Cabardies donnent sujet de plainte à l’une des deux Puissances, il sera permis à chacune de les châtier et de les punir.
Art. 7 – Tous les prisonniers et esclaves faits, soit avant soit depuis la guerre, en quelque occasion et pour quelque motif que ce soit, détenus jusqu’à présent dans les deux Empires, soit militaires ou de toute autre condition, (excepté ceux qui, dans l’Empire des Russies, auraient embrassé la Religion Chrétienne, et ceux qui, dans l’Empire Ottoman, auraient embrassé le Mahométisme, sans délai, après la ratification de ce présent traité de paix, sans échange et rançon, tous sans exception aucune, tant qu’il s’en trouvera pour le présent ou à l’avenir dans les deux Empires, seront aussitôt délivrés et renvoyés; et au sujet de la liberté desdits prisonniers, on publiera les ordres les plus exprès dans toutes les Villes et Provinces des deux Empires, afin que leur affranchissement et congé soit effectivement accordé sans difficulté ou tergiversation aucune. Et touts les Esclaves qui, depuis la conclusion de ce traité ou durant cette paix, auront été faits furtivement dans les Etats de sa Majesté Impériale, conduits en captivité, et se trouveront dans la Crimée, le Budgiack, le Cuban ou ailleurs parmi les Turcs, Tartares et autres Sujets de la sublime Porte, seront délivrés et rendus sans rançon; et à toutes les personnes qui, avec des Passeports de Sa Majesté Impériale, iront dans ces contrées pour délivrer des Esclaves Russes, pourvu qu’elles se bornent à exécuter tranquillement leur commission, il ne sera fait aucune violence ni à l’aller ni au retour; et tous ceux qui contre la Loi Divine, leur feront violence, ou leur causeront quelque dommage, seront punis.
Art. 8 – Si après la conclusion et ratification du présent traité de paix, quelqu’un des Sujets des deux Puissances ayant commis quelque délit, désobéissance ou trahison se retire et se réfugie dans un des deux Empires, il ne pourra en aucune manière être reçu ou protégé, mais il sera incontinent rendu, ou du moins chassé hors des terres de l’Empire où il se trouvera; afin que par de tels hommes infâmes il ne s’excite aucun refroidissement ou contestation entre les deux Empires : excepté seulement ceux qui dans l’Empire des Russies se seront faits Chrétiens, et ceux qui dans l’Empire Ottoman se seront faits Mahométans; et dorénavant si quelque sujet de la Russie s’enfuit dans les Etats de la Porte Ottomane, ou si quelque sujet de la Porte s’enfuit en Russie, lorsqu’il il sera réclamé et demandé d’une part ou de l’autre, il sera réciproquement rendu.
Art. 9 – Le commerce étant le fruit de la paix qui procure aux Etats et aux peuples toute sorte d’abandonné, sera permis aux marchands, Sujets de la sublime Porte, qui pourront l’exercer librement dans toutes les Russies de la même manière qu’il est permis aux marchands des autres Puissances et en payant les mêmes droits. Et réciproquement il sera permis ) tous les marchands, Sujets de l’Empire des Russies, d’exercer aussi librement le Commerce dans les Etats de la Porte Ottomane. Mais pour ce qui regarde le Commerce des Russes sur la mer Noire, il sera fait sur des bâtimens appartenants aux Turcs.
Art. 10 – Si, durant cette paix, il survient entre les Sujets des deux Empires des différends et dissensions, en ce cas les Gouverneurs et Commandants des frontières feront avec toute sorte de droiture les recherches nécessaires; et ces contestations traitées entre les deux Empires seront terminées par tous les moyens convenables pour mieux assurer la conservation de la paix et de l’amitié; et à l’occasion de ces disputes entre les Sujets limitrophes il ne s’entreprendre point d’hostilité d’aucune part; mais on procurera de part et d’autre, avec toute sorte d’attention et d’une manière amiable le maintien inaltérable de la tranquillité.
Art. 11 – Il sera permis soit aux Séculiers soit aux Ecclésiastiques Russes, d’aller librement visiter, soit la Sainte Cité de Jérusalem, soit les autres lieux qui méritent d’être visités; et il ne sera exigé de ces Passagers ou Pèlerins à Jérusalem ou ailleurs aucun tribut ou payement par les Sujets de l’Empire Ottoman: on leur donnera les Passeports nécessaires, comme la sublime Porte a coutume de les donner aux nations amies de l’Empire Ottoman. De plus on ne fera aucun tort ou violence, selon la Loi Divine, aux Ecclésiastiques Russes, tout le temps qu’ils seront sur les terres de la domination Ottomane.
Art. 12 – Quant au titre Impérial dont il a été fait mention de la part de Sa Majesté de toutes les Russies, on en traitera incessamment à l’amiable, et on en conviendra à la satisfaction des deux Parties, selon que le requiert la convenance et la suprême dignité et puissance de Sa Majesté Impériale.
Art. 13 – Pour affermir encore davantage la paix entre les deux Empires et la sûreté des articles du présent traité et de tout ce qu’exigeront les affaires des Sujets respectifs, la résidence des Ministres de Sa Majesté Impériale est permise à la Porte, avec le caractère que Sa dite Majesté jugera convenable; et lesdits Ministres avec toute leur maison, relativement aux privilèges, franchises, comme en tout le reste seront maintenus et respectées, comme les Ministres des autres Puissances les plus distinguées.
Art. 14 – Et afin que la présente paix et bonne amitié entre les deux Empires soit encore mieux établie et affermie, des deux parts on enverra des Ambassadeurs extraordinaires dans le temps qui sera déterminé ci-après, et fixé du consentement des deux Cours; lesquels Ambassadeurs seront avec égalité échangés sur la frontière, reçus, honorés et traité avec les mêmes cérémonies et en la même forme et manière, qui se pratique pour les Ambassadeurs réciproques entre les Puissances les plus distinguées et la Porte Ottomane, et ces Ambassadeurs seront chargés en signe d’amitié de porter des présens mutuels, convenables à la dignité de leurs Majestés Impériales.
Art. 15 – Il a été convenu de plus que dans les trois mois à compter du jour de la signature du présent traité les instruments de ratification d’icelui traité seront échangés par l’entremise de l’illustrissime et excellentissime Seigneur, l’Ambassadeur de Sa Majesté Très-Chrétienne, Médiatrice de la présente paix. Et finalement pour plus grand éclaircissement des articles ci-dessus, on déclare, qu’ayant été convenu dans l’article IV qu’il sera nommé des Commissaires pour le règlement des limites, et pour l’exécution de la convention qui sera faite concernant les dites limites, les Commissaires nommés par la sublime Porte seront subordonnés au Kan de Crimée, et si de l’a part de l’un ou de l’autre Empire, il survenait des choses non comprises dans les articles du présent Traité de paix, qui seraient capables d’altérer la paix, en ce cas il y sera incontinent remédié de part et d’autre avec justice et équité. Et afin que les conditions de cette paix contenues dans les quinze articles ci-dessus, soient des deux cotés exécutées à l’avenir et maintenus inviolables comme elles doivent l’être, on déclare, qu’en vertu de ce présent traité, tous les traités antérieurs resteront pour toujours sans aucune force et validité, à la réserve des limites qui sont à déterminer.
Et dans le même temps que l’excellentissime et magnifique suprême Vizir, en vertu de la susdite pleine puissance, a consigné à l’illustrissime et excellentissime Seigneur l’Ambassadeur de Sa Majesté Très Chrétienne, l’instrument de la présente paix écrit en Turc, le susdit illustrissime et excellentissime Seigneur, Ambassadeur de France, en vertu de son plein-pouvoir ci-dessus communiqué, a également consigné au susdit suprême Vizir, le même instrument écrit en Italien, avec la condition que ce présent traité venant à être ratifié, la garantie de Sa Majesté Très-Chrétienne sera donnée.
Le texte du traité est publié in
| 2,3 Mo Wenck, t. I, pp. 368-386Pour les références bibliographiques des recueils mentionnés ci-dessous, voy. la page consacrée aux recueils de traités
La présente fiche a été réalisée dans la cadre du programme de stage du Céric à l’Université d’Aix-Marseille.
Elle a été conçue par :
Luca Zambelli (fiche de contextualisation, illustration, résumé)
Lou Chatenet (correction du texte intégral)
Pr. Romain Le Boeuf (sources, transcription du texte intégral)
Crédits image : Histoire d’universités